mercredi 9 janvier 2013

Le contrôle par la culture



"Le jean et le tutoiement étaient, sous couvert de familiarité et de décontraction, les pièces d'un uniforme auquel nul n'aurait osé se soustraire"
Jean-Christophe Rufin évoquant Médecins sans frontières,
Un léopard sur le garrot 


Alors que la doxa accorde une place centrale au contrôle par les résultats, la typologie de William Ouchi (1979) met en évidence des mécanismes alternatifs de contrôle avec les contrôles par les comportements et par le clan. Attardons nous sur le contrôle par le clan encore appelé contrôle par la culture, les valeurs, les normes ou encore par la tradition.

Les caractéristiques du contrôle par la culture


Le contrôle par la culture est souvent opposé au contrôle bureaucratique ; si le contrôle par les comportements (encore appelé contrôle bureaucratique ou par la hiérarchie) est caractérisé par un degré de formalisation élevé, le contrôle par la culture est fondé sur une internalisation et un engagement moral concernant les normes, les valeurs, les objectifs et la manière de faire les choses au sein de l'organisation.



Marc Bosche (1984) décrit d'autres composants de la culture : les mythes, les symboles, les rites, les héros et le réseau culturel ou la hiérarchie cachée de l'entreprise. Concrètement, cela se traduit par des obligations sociales, un vocabulaire commun, un sentiment d'appartenance et une appréhension de sa propre place.



Norman Macintosh (1994, p. 139) dénomme ce type de contrôle, contrôle par la tradition. Jusqu’au siècle des Lumières, il est présenté comme étant le principal système de domination non violent fondé sur « la sagesse des ancêtres et les coutumes vénérées de l'Antiquité ».

Face au risque de rigidités de l'organisation confrontée à un environnement dynamique induit par la culture, Maurice Thévenet (1984) objecte la nécessité d’institutionnaliser une révolution permanente. Comme toujours, l’objection de Norman Macintosh (1994, p. 138) est plus espiègle ; la tradition peut être amendée sur la base de traditions anciennes récemment (et opportunément ?) redécouvertes.

Norman Macintosh ne s’attarde pas sur les éléments constitutifs de la culture, mais il développe plusieurs exemples comme :

  • les clans écossais auxquels on ne peut adhérer que par la naissance ou le mariage ;
  • les kamikazés japonais.

Au travers de ces exemples, apparaît la place occupée des légendes, rites, cérémonies, slogans… dans la culture.



Kenneth Merchant et Wim Van der Stede (2007) illustrent le contrôle culturel par les pratiques de la communauté juive hassidique de New York dans laquelle beaucoup d’affaires sont conclues verbalement. Pour ces auteurs, les principaux éléments constitutifs de la culture sont les chartes, les rétributions collectives, les mutations intra-organisationnelles, l’organisation physique des espaces de travail, un langage commun, l’exemplarité des dirigeants…

 

Quels contextes pour le contrôle par la culture ?


Même si William Ouchi (1979) insiste sur la nécessité de combiner les mécanismes de contrôle, le clan (ou la culture) serait plus adapté dans les contextes dans lesquels la performance n’est pas mesurable et le processus de production n’est pas connu. L’appréciation de Norman Macintosh (1994, p. 140) diffère quelque peu : le contrôle par la tradition, que nous assimilons ici au contrôle par la culture, est adapté aux organisations dont les objectifs et les valeurs sont parfaitement définis mais dont le fonctionnement est complexe. La culture est fréquemment utilisée en complément des autres mécanismes de contrôle. Enfin, la perspective de Kenneth Merchant et Wim Van der Stede (2007, p. 85) est très utilitariste : le contrôle culturel est utilisé pour favoriser la surveillance mutuelle (contrôle social) ; c’est un puissant levier sur les individus qui s’écartent des normes et valeurs du groupe.



En plus des trois principaux mécanismes évoqués (résultat, comportement et culture), la littérature fait référence à des approches complémentaires mentoring, collégial, formation, charismatique…



Bibliographie


Bosche, M. (1984, septembre-octobre). Corporate culture, la culture sans histoire. Revue Française de Gestion , 29-39.

Macintosh, N. B. (1994). Management Accounting and Control Systems. Chichester: Wiley.

Merchant, K. A., & Van der Stede, W. A. (2007). Management Control Systems - Second Edition. Prentice Hall.

Ouchi, W. G. (1979). A conceptual framework for the design of organizational control mechanisms. Management Science , 833-848.

Thévenet, M. (1984, septembre-octobre). La culture d'entreprise en neuf questions. Revue Française de Gestion , 7-20.